Pour mon merveilleux frère Pierre-Marie.

Il y a quelque chose qui nous lie, quelque chose d’indestructible, que ni la mort ni les
épreuves ne peuvent défaire. Ce qui nous lie, c’est l’amour, l’amour que Pierre-Marie nous avions et que nous continuons d’avoir pour toi, c’est l’amour aussi que tu savais si bien manifester, cette chaleur, cette bonté d’âme, cette joie, cet humour. L’amour endure tout, l’amour surpasse vraiment tout, il vainc même la mort. Car oui, même si nous ne croyons pas qu’une vie existe après la mort, nous continuons de t’aimer et de nous souvenir de ton amour.
D’un pur point de vue humain et psychologique, notre amour pour toi perdure, et ton souvenir nous aide, m’aide en tout cas, à continuer d’aimer, de toujours mieux aimer. Aimer mes parents, les voir s’aimer, aimer chacun de mes frères et sœurs (et notre géniale belle-sœur Fanny !), aimer chacun de tes amis, aimer tous ceux qui m’entourent. C’est incroyable l’amour que j’ai vu se manifester cette année. L’amour qui nous a fait traverser l’épreuve de ta disparition, qui nous fait nous affermir dans nos relations. Cet amour c’est toi Pierre-Marie qui nous l’as donné et qui continues de nous le donner. Alors merci.

J’ai la chance de te sentir très souvent vivant près de moi, entre les épreuves et moi, entre les épreuves et chacun d’entre nous. C’est le cadeau de la Foi, de te sentir dans la gloire et
l’amour les plus grands, avec Jésus. Pour ça je remercie Dieu aussi chaque jour. Je t’aime
Pierre-Marie, et je t’aimerai toujours. Protège chacun de nous et chacun de nos liens, et
protège l’amour.

Comme l’écrivait le père Christian de la communauté des moines de Tibhirine : « A toi, et dans l’espérance de nous retrouver un jour, larrons en paradis, pour contempler, s’il plaît à Dieu, l’amour de notre Père, à tous deux. »

Le 6 juin, jour de rédaction de cet article, veille du premier anniversaire ta mort sur Terre, j’ai reçu avec l’évangile du jour la prière suivante que je restitue aussi ici :

Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) 
carmélite, docteur de l’Église 
Poésie « Vivo sin vivir en mí » (Œuvres complètes; trad. par Mère Marie du
Saint-Sacrement; les Éd. du Cerf, 1995, p. 1221)
« Elle a tout donné »

Je vis mais sans vivre en moi ;
Et mon espérance est telle
Que je meurs de ne pas mourir.
Je vis déjà hors de moi
Depuis que je meurs d’amour ;
Car je vis dans le Seigneur
Qui m’a voulue pour lui.
Quand je lui donnai mon cœur,
Il y inscrivit ces mots : 
Je meurs de ne pas mourir. (…)
Ah ! qu’elle est triste la vie, 
Où l’on ne jouit pas du Seigneur ! 
Et si l’amour lui-même est doux
La longue attente ne l’est pas ;
Ôte-moi, mon Dieu, cette charge
Plus lourde que l’acier,
Car je meurs de ne pas mourir.

Je vis dans la seule confiance
Que je dois un jour mourir, 
Parce que, par la mort, c’est la vie
Que me promet mon espérance.
Mort où l’on gagne la vie, 
Ne tarde pas, puisque je t’attends,
Car je meurs de ne pas mourir.
Vois comme l’amour est fort (Ct 8,6) ; 
Ô vie, ne me sois pas à charge ! 
Regarde ce qui seul demeure : 
Pour te gagner, te perdre ! (Lc 9,24)
Qu’elle vienne la douce mort ! 
Ma mort, qu’elle vienne bien vite,
Car je meurs de ne pas mourir.
Cette vie de là-haut,
Vie qui est la véritable,
– Jusqu’à ce que meure cette vie d’ici-bas –
Tant que l’on vit on n’en jouit pas.
Ô mort ! ne te dérobe pas.
Que je vive puisque déjà je meurs,
Car je meurs de ne pas mourir.
Ô vie, que puis-je donner
À mon Dieu qui vit en moi
Si ce n’est de te perdre, toi, 
Pour mériter de le goûter ! 
Je désire en mourant l’obtenir, 
Puisque j’ai si grand désir de mon Aimé
Que je meurs de ne pas mourir.

Contre tous les néo-matérialismes.

J’entends par matérialisme la définition suivante qui m’est fournie par Wikipédia : « un système philosophique qui soutient que toute chose est composée de matière et que, fondamentalement, tout phénomène est le résultat d’interactions matérielles. ».

Nous avons fait de réalités matérielles l’essentiel de notre existence : non seulement les choses que nous possédons (cette forme de matérialisme est dénoncée depuis déjà longtemps par des mouvements prônant l’anti-consumérisme et la décroissance) mais aussi et surtout nos relations. Le matérialisme, en définissant toute chose par son caractère matériel, a contribué à détruire les relations de l’Homme au monde, des êtres humains entre eux et aussi l’égale dignité entre l’homme et la femme. C’est notamment à partir des révolutions menées notamment sous l’influence de la pensée des matérialistes des Lumières à la fin du XVIIIe en France que nous avons placé l’homme au travail en direction d’usine et remis la femme à la maison. L’homme et la femme se définissant d’abord selon ces gens-là matériellement, par leur physiologie et leur psychologie. C’est aussi le matérialisme des XVIII et XIXe qui a conduit (avec des prémisses dans les siècles précédents), aux pires considérations liées au concept de race humaine et de supériorité prétendue d’une race sur l’autre.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’opposent au matérialisme. Il m’apparaît néanmoins important de souligner que les pourfendeurs actuels du matérialisme tiennent eux-mêmes d’une forme de matérialisme sans s’en rendre compte. Ils prônent par exemple la Nature en la déifiant (végétarianisme, véganisme…), la Qualité (Made In France, procédés de fabrication des objets et du textile…), le Biologique… En fait, ces pourfendeurs du matérialisme font preuve d’une forme de puritanisme matériel étonnant. A l’opposé de la Beauté et de la Perfection idéalisés par les matérialistes, les néo-matérialistes déifient aussi le Corps et son Authenticité. Ainsi, on peut non seulement assumer mais revendiquer d’être gros, quand bien même on mettrait en danger sa santé. Un autre exemple : la revendication d’une identité d’abord en fonction de ma couleur de peau (phénomènes « BlackLivesMatters » et autres revendications communautaristes en fonction de la couleur de peau notamment aux États-Unis) constitue une autre forme de néo-matérialisme que je pense à peu près aussi destructrice que le racisme matérialiste des siècles précédents.

Ainsi, en prétendant détruire le matérialisme, des néo-matérialistes donnent une nouvelle forme à ce système de pensée qui continue de contribuer grandement aux malheurs de notre temps. Plus grave encore, parmi les pourfendeurs historiques du matérialisme que sont les catholiques, des formes de néo-matérialisme apparaissent. Par exemple, à la faveur du confinement lié à la crise du coronavirus, on a vu à partir du mois de mai 2020 des catholiques s’élever dans toute l’Europe pour réclamer le rétablissement de « la Sainte Messe » et signalant l’empêchement de la Communion hebdomadaire comme un danger pour leur « survie ». La « Messe » et la « Communion » ne sont pourtant jamais des fins en soi (d’ailleurs, le catéchisme de l’Église catholique oblige à communier une fois par an, non chaque semaine et encore moins chaque jour). La messe et la communion sont des manifestations matérielles et rituelles bien entendu importantes, cruciales pour maintenir notre lien avec Jésus et communier avec les saints mais ne sauraient jamais devenir des fins en soi. La condition de notre survie en tant que catholique, c’est la permanence de l’Amour entre nous, de l’Amour des plus pauvres et des plus pécheurs dans le monde.

Combattons donc le matérialisme et toutes ses nouvelles formes. Comment ? Voici des premières pistes de solutions orientées, je l’avoue, par ma foi catholique. D’abord, en cultivant le goût de la sobriété et de la vraie pauvreté matérielle et morale. Aussi, Dieu, la Sainte Vierge les saints d’intercéder pour nous ; enfin, en nous mettant chaque jour au service les uns des autres et particulièrement des plus pauvres, peut-être plus particulièrement des plus pécheurs, des plus méchants. N’oublions jamais qu’une réalité invisible, non matérielle, habite probablement le monde, que et que cette réalité se vit à travers des relations aimantes et humbles, en Jésus ; Jésus qui Lui seul peut nous sauver du péché et de la désespérance matérialiste.

Définir l’amour et les conditions de l’amour.

La Miséricorde « a jailli des entrailles de Dieu pour la consolation du monde entier. » (Journal de Sainte Faustine, PJ 1517).

Dimanche dernier fut une journée de joie et d’épreuves lors de laquelle, à plusieurs reprises, je me suis retrouvée à discuter avec un certains nombre de mes proches de ce qu’est l’amour. J’observe que l’amour est bien difficile à définir en tant que tel. Je trouve plus facile de chercher les conditions qui favorisent sa naissance, sa croissance et son épanouissement.

D’abord, écouter l’autre, se mettre à son école, en s’oubliant soi-même s’il le faut.

Ensuite, et parce que l’on nourrit le souci et l’intérêt de cet autre, lui dire toujours la vérité sur ce que nous pensons. Fuir la duplicité, l’ambivalence et la séduction, favoriser la simplicité et la droiture tout en restant tendre. Droiture n’est en effet pas dureté. Un psy m’a dit un jour qu’aucune relation humaine ne devrait être teintée de violence quelle qu’elle soit. Aucune façon dure voire brutale de s’exprimer n’est légitime, même portée par des convictions profondes et par la volonté de bien faire. Venant d’une famille « au sang chaud » (une famille merveilleuse, il faut ici le rappeler) où l’on se met régulièrement en colère et où l’on affirme ses convictions brutalement (à l’aune de l’intelligence des uns et des autres), il m’a fallu et me faudra encore des années pour comprendre à quel point cette affirmation est vraie et bonne.

Ma prof de philo de terminale, parmi quelques assertions à mon sens assez fausses, nous fit voir un jour clairement cette vérité fréquemment observable : la brutalité voire la colère de quelqu’un n’est en général que la marque de la peine, de l’inquiétude voire la peur qu’il a pour lui-même. Interrogeons-nous donc sur ce qui nous fait nous mettre en colère. Bien souvent, les causes sont notre peur, notre orgueil ou notre jalousie (qui est elle-même une déclinaison de la peur et de l’insécurité). Les conditions de l’amour entre nous sont elles-mêmes conditionnées par l’amour et la tendresse que nous entretenons pour nous-mêmes.

Interroger et présenter à Jésus ces sources de notre brutalité, colère, de nos dépits, de nos rancoeurs, de notre dureté… peut aider à leur faire face, non pour chercher à les annihiler brutalement, mais pour les exposer au feu de l’Amour originel, celui de Dieu incarné par la personne du Christ. C’est avec le Christ que je parviens à m’aimer moi-même, à consoler mes peines, à apaiser mes peurs, à aimer mes manques, à gagner en humilité et à retirer en moi, tout doucement, chaque jour un peu plus, la colère, pour finir par me tourner vers l’autre avec la paix du coeur et pouvoir me mettre à son école.

Le Christ nous apprend en outre l’indispensable condition du prolongement de l’amour : le pardon. Le pardon n’est possible, (le demander ou le recevoir), que lorsque la personne s’est pardonnée elle-même et a travaillé les sources de sa colère. La capacité infinie du Christ à nous pardonner peut orienter notre propre capacité à nous pardonner les uns les autres. Sans pardon, et sans possibilité infinie de son renouvellement, l’amour ne peut durer et, chose plus grave, les âmes se dessèchent et peuvent finir par se noyer de colère, de rancoeur et de chagrin.

Renoncement et nouveaux dieux.

« On ne peut faire autrement. »
« C’est le sens de l’histoire. »
« Le progrès est là. »
« Que peut-on proposer d’autre ? »
« C’est la seule issue possible. »

Voilà le discours qui transparaît partout et qui nous amène à voter pour un monde multinational, vendu corps et âme aux multinationales, à l’Innovation, à la Technique, au Digital, à la Donnée, à la Blockchain, à la Start Up, à l’Intelligence Artificielle et à l’Écologie.

Quelle est « la seule issue possible » ?

Celle de reconnaître, non sans tristesse mais avec une ferme résignation, la défaite de l’Homme sur Terre car l’Homme est devenu un problème.

L’Homme s’abandonne car Il a définitivement renoncé à lui-même. Il a renoncé à son identité fondatrice de créature du Créateur. En maintenant ferme son état de créature, il eût pu espérer continuer à faire de grandes choses sur la Terre, des choses qui l’élèvent vers le Ciel tout en continuant d’embrasser sa condition proprement et pauvrement humaine : de la création artistique qui traverse le temps et les subjectivités, des progrès scientifiques au service de la raison, des œuvres qui ne massacrent pas son environnement.

L’Homme terrassé et séduit par la Bête, technique et merveilleuse, fantastique d’efficacité et de garantie de jouissance, lui étant tout acquis, ayant perdu la Foi, ayant accepté, en pleurant, avoir perdu la Foi, se retrouve paradoxalement voué à de nouveaux dieux : d’abord, il y a plusieurs décennies, la Consommation, la Liberté et l’Argent, puis maintenant plutôt le Bonheur, l’Amour, la Technologie, la Nature.

Prier, absolument.

L’exigence de la prière est aussi absolue que l’exigence du respect de la vie. Il faut prier pour chacun et chacune, sans condition (il faut ainsi prier pour les terroristes de cette semaine qui, selon la conception catholique tout du moins, restent aimés de Dieu, absolument, infiniment). Il faut également respecter la vie humaine sans condition (ainsi, rien, absolument rien, ne saurait justifier les violences et attentats perpétrés cette semaine, au même titre que rien justifie la tendance qu’ont nos sociétés modernes à chercher à administrer la mort légalement).

Ces deux exigences, indissociables l’une de l’autre, sont à mon sens condition de la survie de nos sociétés européennes et, bien au delà, de notre cohésion proprement humaine.