Le désordre résultant de la grande privation.

« La réalité de la vie, ce n’est pas la sensation, c’est l’activité (…). Ceux qui vivent de sensations ne sont, matériellement et moralement, que des parasites (…). » (Simone Weil, Lettre à Simone Gibert, une de ses anciennes élèves, mars 1935).

Dans l’article qui précède, je parle de cette grande privation qui est celle de l’Amour, à savoir l’Amour divin.

De la privation de cet Amour résulte une confusion et un désordre ambiant dans l’ensemble de nos relations avec le monde.

Nos relations entre êtres humains, d’abord. L’Amour divin nous enseigne la différence entre le Dieu créateur et les Créatures qu’il a créées. Il nous enseigne aussi la différence entre l’Homme et la Femme, différence révélée par l’amour humain et le mariage, différence qui est source de vie, de stabilité, d’équilibre de dynamique de couple renouvelée et, plus prosaïquement, de perpétuation de l’espèce humaine. Annihiler l’Amour initial nous a conduits à une confusion et un désordre général dans l’état de nos relations. Nous avons établi qu’il n’existait ni Homme, ni Femme. Que nous sommes seulement des êtres angéliques sans sexe et sans incarnation révélée. Nous avons établi que l’amour était bien relatif, qu’il pouvait exister entre deux êtres quel que soit leur sexe, leur âge, leur condition. Qu’il pouvait même s’établir entre plusieurs êtres en même temps. Ainsi avons-nous commencé à confondre la Sensation et l’Amour, la Contingence, le Désir, le Va-et-Vient des sentiments et la Liberté réelle de choisir l’Amour dans la différence des sexes, des âges et des générations. En résulte un désastre dans nos vies conjugales, familiales et affectives, on ne compte plus les divorces actuels, les enfants traumatisés par la séparation de leur parents et l’on s’oriente, mondialement, vers des abominations telles que la fabrication et le trafic d’enfants pour répondre à l’impérieux Désir d’enfant pour n’importe qui, n’importe quand, n’importe où.

Paradoxalement, et c’est là que le désordre s’illustre d’ailleurs, en voulant faire du « Sentiment » et du « Désir » les principes conducteurs de toute vie humaine, en pensant que c’est le fait de « se sentir » amoureux et de vivre selon ses sentiments qui va nous faire aboutir à une société plus heureuse et apaisée, la brutalité des relations entre nous ne diminue guère, au contraire, elle aurait même peut-être tendance à s’accentuer. Violences conjugales, viols, enfants maltraités ou victimes d’incestes ou de pédophilies, enfants tués dans le ventre de leur mère, personnes abandonnées dans la rue ou à la porte de leur pays, guerres, génocides… Le monde des XX et XXIe siècle n’est pas du tout un monde moins violent que les époques qui l’ont précédé.

Nos relations avec le reste du monde et de la création, ensuite, font preuve de désordre. Parce que nous ne savons plus ce qu’est la source originelle de l’Amour, nous sommes entrés dans une relation totalement désordonnée avec le monde. D’un côté, nous le surexploitons et le massacrons : surexploitation animale, maltraitance dans les élevages industriels, épuisement des ressources, pollution des océans… De l’autre, nous adoptons pour nos familles et dans nos vies privées des animaux domestiques que nous élevons comme nos propres enfants, que nous faisons nos rois, pour qui nous dépensons des centaines voire des milliers d’euros chaque année. Ou encore, nous plongeons dans la radicalité du « véganisme », refusant de consommer toute protéine animale, en oubliant un fait pourtant simple, essentiel : dans la Nature et chez les Animaux que les vegans déifient, des animaux mangent d’autres animaux pour subvenir à leurs besoins. Dans tous les cas, c’est un désordre brutal de notre relation avec la Création, avec l’Animal et avec la Nature qui s’illustre. Parce que nous ne savons plus aimer le monde comme nous devrions l’aimer réellement, soit nous le détruisons et le surexploitons, soit au contraire nous le déifions. Dans les deux cas, ce n’est pas de l’Amour et ces désordres doivent être combattus.

Je prie pour que par l’Amour nous retrouvions de l’Ordre dans nos relations – de l’ordre, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire de l’ordre qui conduit et qui entretient l’amour. Ne le nions pas : lorsque sa maison est en ordre, on s’y sent mieux, on y vit mieux et l’on s’y aime mieux. Je ne parle pas d’un ordre maniaque mais d’un ordre relatif, conduit par l’amour que l’on a pour son Créateur, pour soi-même et par là même pour ceux qui nous entourent.

La grande privation.

Nous, pauvres gens, nous sommes vus priver de choses essentielles pour notre bonheur et pour la qualité de notre vie sur Terre.

Nous nous sommes d’abord vus priver de la source de l’Amour premier, Celui qui transcende tout, qui pardonne tout, qui répare tout, qui peut tout. Concrètement, en France et dans beaucoup de pays occidentaux, nous nous sommes vus dégoûter de l’idée d’un Dieu aimant et de la religion qui pouvait témoigner de Sa présence parmi nous. Les premiers responsables de l’oubli de cet Amour sont peut-être les représentants de cette religion eux-mêmes. Qui aurait voulu en effet croire en un Dieu aimant parmi des bonnes soeurs revêches, sévères, méchantes et moqueuses ? Des prêtres pervertis aux richesses du monde et concupiscents ? Des fidèles assistant à la messe pour faire bonne figure et rencontrer du beau monde, se fichant bien du sort du reste du monde, de l’urgence d’annoncer l’Amour à ceux qui ne le connaissent pas ? Les abandonnés, les maltraités, les pauvres, les clochards, ceux qui ont faim d’humanité et d’amour et qui n’ont parfois pas le privilège d’avoir connu l’Amour dès leur enfance ?

Avec la privation de l’Amour, du vrai Amour, est venue la privation de tout le reste.

La privation de la perspective de l’éternité dans nos vies et de la vie éternelle qui, pourtant, a le mérite de nous aider à affronter si ce n’est avec bonheur, au moins avec un peu d’espérance, les vicissitudes de la vie. La privation de notre capacité à vivre en prenant des décisions et en nous y tenant par Amour, même lorsque cela devient difficile. Notre capacité à tenir nos promesses car, au fond, nous savons les avoir prises par Amour. Notre capacité à construire nos vies en dépassant les imprévus et les nécessités de la vie, notre capacité à inventer, à créer et à tenir des projets, qu’ils soient maritaux, familiaux, professionnels ou artistiques.

Avec la privation de l’Amour est aussi venue la grande confusion entre l’Amour et la Sensation, entre la Liberté et la Passivité. On nous a ordonné de vivre selon nos besoins et nos désirs du moment, en cela, l’hédonisme ambiant est l’un des plus méchants mensonges que notre époque ait créés, il travestit la Liberté en Sensation. Nous nous sommes créé de fausses idées de l’Amour, de la Liberté et du Choix ; nous avons oublié ce que c’est que de Choisir, de Décider et de Vouloir pour de bon. Choisir de prendre et tenir des engagements par Amour. C’est notre humanité qui est encore ici en question, notre humanité en tant que chose capable de dépasser les contingences de la vie, de construire des choses éternelles lorsqu’elle fait preuve de persévérance et de courage.

Car c’est en dépassant les difficultés que nous nous épanouissons. C’est en construisant des projets qui durent, qui dépassent les événements que nous ne maîtrisons pas, que nous trouvons notre stabilité et notre bonheur. C’est une dimension éternelle en nous, enfouie en nous par Dieu au départ selon ce que je crois, qu’il nous faut entretenir pour rester dignes, heureux et joyeux. Car nous sommes des créatures divines, des créatures appelées à l’Amour et à l’Eternité, Amour et Eternité que nous connaitrons parfaitement quand nous rejoindrons notre Père au ciel.

Qu’avons-nous fait aux hommes ?

Ils m’entourent dans le TGV pour Nantes ce matin. Ils sont terrorisés, portent des masques à vingt ans et me regardent d’un air suspicieux parce que le mien est laissé négligemment sur mon menton. Frêlement vêtus, ils se frottent les mains de gel hydroalcoolique toutes les deux minutes. Pendant le confinement, j’ai vu les hommes autour de moi (mari, voisins, frères, collègues…) s’effondrer de peur,  de tristesse, se méfier à outrance de leurs voisins ou de leurs proches, se renfermer sur eux-mêmes quitte à tout détruire, ou se laisser dévorer par la colère et la concupiscence.

Qu’avons-nous bien fait aux hommes, nous, humanité, pour les rendre si misérables ? Qu’avons-nous donc pu bien faire pour les fragiliser au point que la moindre difficulté ou adversité leur devienne si insurmontable ? Les hommes sont-ils conspués de façon générale au point d’être devenus la pire version d’eux-mêmes ? Où est notre responsabilité ?

(edit septembre 2020)

Désormais, je me déplace toujours à vélo dans Paris. Il est vrai que l’étendue des pistes des cyclables disponibles depuis le confinement rend la chose facile. En route, je me vois souvent confrontée à des attitudes déplacées, limite vulgaires, de certains hommes lorsque j’ai le malheur de leur signaler leur incivilité (brûler un feu rouge en se mettant en danger et les autres autour d’eux, par exemple). « T’es mignonne toi, », semblent-ils dire en me souriant et en me regardant avec un air désolé. Je vois les hommes mépriser les femmes aujourd’hui. Je les vois me mépriser lorsque de cette façon je sens qu’ils ne me voient que comme comme un objet de séduction. Dans ces moments à vélo, j’en viens à me dire, terrifiée : « Mon Dieu. Et si, finalement, les féministes les plus guerrières de notre temps avaient raison ? Si les hommes étaient tous des salopards hérités d’un modèle patriarcal paternaliste pandémique ? ».

Il existe je crois aujourd’hui une entreprise de construction et d’entretien de la détestation des hommes pour les femmes, et des femmes pour les hommes.

Les hommes sont entretenus et éduqués à voir les femmes comme de jolies et mignonnes poupées au mieux, comme des objets de jouissance et de domination sexuelle pure au pire – le problème étant qu’en fait, en général, ces visions sont mélangées l’une et l’autre dans l’esprit des hommes.

Les femmes sont entretenues pour être soit des modèles de séduction et de réussite sur tous les plans, soit des guerrières qui valent bien l’égal des hommes ou qui devraient même prendre leur place dans la conquête pour la domination d’un sexe sur l’autre. On leur raconte depuis quelques années qu’il existe un complot patriarcal qu’il faut abattre à tout prix, même au prix de la tête de beaucoup d’hommes formidables.

Oui, il existe une entreprise de détestation et de division dont les causes me paraissent plus insidieuses qu’un prétendue « pandémie patriarcale ». Je crois fermement que ce qui contribue le plus à détériorer notre considération les uns pour les autres, ce sont d’abord le matérialisme, le consumérisme et l’individualisme, conduits eux-mêmes par le déni de toute spiritualité humaine et notamment de la foi catholique. Nous avons oublié que nous sommes tous issus d’un Dieu aimant qui a voulu nous voir nous aimer et notamment l’Homme aimer la Femme, la Femme aimer l’Homme. Les pires idéologies matérialistes, battant en brèche tout sens de la spiritualité, ont conduit à mettre la femme à la maison  et l’homme à la tête de l’usine lors des révolutions industrielles. Les idéologies consuméristes et individualistes de la prétendue libération des moeurs des années 70 ont ensuite laissé penser que le plaisir et la jouissance immédiate seuls pouvait être une fin en soi, une fin qui nous épanouisse soi-disant pleinement.

Lorsque le plaisir devient la fin en soi, il devient dictateur. Il devient dictateur et devient donc l’artisan d’une logique de domination entre les objets de plaisir.  La banalisation et la généralisation du porno, drame psychiatrique et psychique pourtant démontré, multipliant les scénarios de domination de l’homme sur la femme, laissant penser qu’il est normal qu’une femme se comporte dans la vraie vie sexuelle comme les actrices pornos, est un symptôme éclatant de l’échec de l’individualisme consumériste et de la détestation généralisée des hommes pour les femmes et des femmes pour les hommes.

Combattons, plus que jamais, cette violence matérialiste, et rappelons-nous qu’il existe un projet d’Amour magnifique entre nous. Celles de nous émerveiller les uns les autres. Les hommes de s’émerveiller devant le courage indestructible et l’intelligence des femmes, ces femmes qui portent la vie et qui savent, en leur corps, ce que cela veut dire que de la porter et de la défendre. Les femmes de s’émerveiller devant la force, la pudeur et la sensibilité des hommes lorsqu’ils la laissent se révéler. Les hommes d’apaiser l’inquiétude des femmes, les femmes d’aider les hommes à lutter contre leurs peurs et leur misère que souvent on leur apprend à cacher. Les hommes à tout faire pour faire plaisir aux femmes, et notamment de leur faire plaisir en écoutant ce dont elles ont besoin – notamment sur le plan sexuel. Les femmes, de laisser les hommes s’approcher d’elles et de se laisser aimer par eux, tout en leur apprenant qu’eux aussi ont le droit d’être aimés.

Oui, j’écris cette litanie d’affirmation sur les hommes et sur les femmes et j’assume sa grossièreté probable et ses généralisations hâtives. Je crois que beaucoup d’hommes et beaucoup de femmes, dont on ne laisse pas entendre la voix aujourd’hui, seraient heureux d’entendre ces grossièretés légères sur la beauté de l’amour possible entre l’homme et la femme.